LINGUISTIQUE - Linguistique appliquée

LINGUISTIQUE - Linguistique appliquée
LINGUISTIQUE - Linguistique appliquée

La linguistique appliquée à l’enseignement des langues est une discipline autonome; son point de départ n’est pas un ensemble de connaissances linguistiques dont on chercherait, parmi les nombreuses applications, celles qui peuvent s’adapter à l’enseignement des langues, mais la prise de conscience de problèmes pratiques qui concernent cet enseignement et pour lesquels la linguistique fournit des directions de recherche et des solutions possibles. Le «linguiste appliqué» doit alors opérer un choix parmi les données que lui apporte la linguistique, les interpréter, les réorganiser et les adapter pour répondre à son besoin immédiat: l’enseignement des langues. Ce domaine de la linguistique appliquée constitue un vaste champ de recherches distinctes des recherches entreprises en linguistique générale, bien que les contacts soient nombreux et les interactions nécessaires et salutaires pour ces deux disciplines. Cependant, les points de vue en cause sont fondamentalement différents: l’intention du linguiste est de parler d’une langue, l’intention du linguiste appliqué est de fournir au professeur de langue des moyens efficaces pour apprendre à ses élèves à parler une langue.

Historiquement, la traduction et la documentation automatiques n’ont pas la même origine, bien qu’elles doivent leur existence à des motivations comparables. La traduction automatique, qui s’est aussi appelée traduction mécanique ou encore traduction électronique, est née, après la Seconde Guerre mondiale, de l’idée que l’on pourrait confier à des automates du type des calculateurs électroniques la tâche de traduire des textes d’une langue à d’autres; c’est essentiellement l’accroissement très rapide de la masse des matériaux écrits publiés dans le monde entier qui a suscité ce projet: dans les domaines scientifiques, par exemple, il s’agit de l’ensemble des publications, rapports, ouvrages, manuels, actes de congrès, etc., dont tout spécialiste est amené à prendre connaissance. La documentation automatique est née du même souci d’accéder rapidement à une information qu’il devient de plus en plus malaisé de contrôler; le projet consiste ici à mécaniser l’ensemble des opérations qui permettent ce contrôle: lecture, analyse et indexation des documents, stockage de l’information (par exemple, sous la forme d’un fichier) puis restitution de celle-ci en fonction de «questions» posées au fichier, et concernant des auteurs ou des «thèmes» de recherche, attestés dans les documents préalablement analysés.

1. L’enseignement des langues

Rappel historique

Pour mieux comprendre les orientations actuelles de la linguistique appliquée, discipline très jeune historiquement mais très dynamique et riche de promesses, il faut brièvement rappeler les différentes conceptions de l’enseignement des langues.

À la fin du XIXe siècle, l’enseignement des langues est encore influencé par la tradition classique, avec le prestige dont ne cesse de jouir l’enseignement des langues mortes qui ne peuvent être étudiées que par l’intermédiaire de documents écrits. La recherche linguistique est alors historique. La philologie a pour but une meilleure connaissance des textes classiques. On accorde ainsi une importance primordiale à l’aspect écrit des langues, confondant en un même point de vue l’enseignement des langues mortes et celui des langues vivantes. L’approche de base pour l’étude d’une langue est la traduction, complétée par un apprentissage par cœur des règles de grammaire.

Les méthodes directes s’établissent en réaction contre les méthodes précédentes. Un vaste mouvement qui se propage d’abord en Europe puis gagne les États-Unis met l’accent sur l’apprentissage des langues par un contact direct avec la langue étrangère replacée dans des situations concrètes. Certaines des positions théoriques définies par les pionniers de la méthode directe à la fin du XIXe siècle, M. D. Berlitz en Allemagne et F. Gouin en France, qui émigrèrent tous deux par la suite aux États-Unis, restent encore valables de nos jours. Elle substitue à la récitation de la grammaire le contact avec la langue et à la traduction l’utilisation pratique de la langue. Pour éviter le plus possible la traduction, la classe est faite dans la langue étudiée. Pour faire comprendre le sens des énoncés, puis des mots, le professeur de langue recourt à des associations audio-visuelles: mimiques, gestes, dessins, objets témoins (et plus tard tableau de feutre).

Une autre conception de l’enseignement des langues apparaît, rendue nécessaire par des besoins nouveaux. La pression des événements historiques accélère cette évolution. Pour répondre aux besoins des troupes américaines de débarquement en Europe et en Asie, des cours pratiques et intensifs sont organisés sous les auspices de l’Army Specialized Training Program, visant à faire acquérir une parfaite maîtrise de la langue orale.

Plus près de nous, d’autres facteurs interviennent. La rapidité et la diversité des moyens de transport rapprochent de plus en plus les frontières des pays et leurs habitants. Le «citoyen du monde» ne peut plus se contenter de parler une seule langue. La politique et l’activité économique, dans leur aspect international, prennent une importance grandissante. Les moyens de transmission de l’information augmentent en nombre et en puissance; il sont surtout audio-visuels: radio, cinéma et télévision (Eurovision et Mondovision). Enfin, le tourisme se développe très rapidement. Tous ces faits entraînent le besoin d’apprendre une langue différente de la langue première et de l’apprendre d’une manière efficace, rapide et avec un minimum d’effort. Ce que l’on recherche surtout c’est une connaissance orale des langues qui permette de répondre aux nécessités de la vie de tous les jours dans un pays étranger.

Mais tous ces facteurs, dégagés précédemment, n’ont fait qu’accélérer un processus d’évolution devenu inévitable avec les nouvelles orientations de la linguistique depuis le début du XXe siècle, et en particulier avec l’apparition du structuralisme. Elles ont rendu possible un renouvellement radical dans le contenu et la pédagogie de l’enseignement des langues.

Ainsi, c’est surtout grâce à la participation des linguistes de l’époque que le programme intensif pour l’armée américaine a pu être mis au point dès 1941. L. Bloomfield y a participé activement avec son Outline Guide for the Practical Study of Foreign Languages . Ce n’est pas une coïncidence si les centres les plus importants de recherche de la linguistique appliquée se sont développés dans les universités où enseignent les plus grands linguistes.

C’est l’existence d’une science linguistique autonome qui a permis l’avènement de la linguistique appliquée. Le développement des moyens techniques d’enseignement (magnétophone, laboratoire de langues), sur lesquels on a trop tendance à insister aujourd’hui, n’a fait qu’accompagner cette évolution. Si l’on ne veut pas connaître d’amères désillusions quant à leur utilisation, il convient de les remettre à leur vraie place en les intégrant dans un ensemble pédagogique dont ils contribuent alors à améliorer grandement l’efficacité.

Domaine d’application

Étant donné la part prédominante qui revient à la linguistique générale, on peut se demander en quoi consiste la tâche du linguiste appliqué. Comment réagit-il devant ce vaste domaine de recherches non orientées dans le sens de ses propres besoins?

Il procède d’abord à un choix des éléments nécessaires au contenu de l’enseignement des langues, puis à une réorganisation hiérarchisée des descriptions fournies par le linguiste afin d’élaborer des matériaux qui lui semblent convenir davantage aux préoccupations du professeur de langue. Toujours dans ce but, il compare les langues (langue première de l’élève et langue étrangère qu’il doit apprendre); cette comparaison est au centre des recherches de la linguistique appliquée.

Le contenu de l’enseignement

Contrairement aux préoccupations traditionnelles, la linguistique accorde la priorité à l’aspect oral des langues. Au début de l’apprentissage d’une langue, il convient de laisser de côté l’aspect écrit parce qu’il peut conduire l’élève à une prononciation fautive sous l’influence de la graphie (surtout dans les langues comme le français parsemé des pièges redoutables tendus par l’orthographe). D’autre part, la langue écrite est amputée des aspects essentiels à la communication que sont les éléments prosodiques (rythme, accent, intonation et tons). Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas là d’un jugement de valeur. Le linguiste est intimement persuadé du rôle culturel exceptionnel que joue la langue écrite dans certaines civilisations (non dans toutes); mais dans l’apprentissage de toute langue, pour le linguiste appliqué, l’ordre suivant s’impose comme fondamental: écouter, parler, lire, écrire.

Deux autres concepts fondamentaux pour le linguiste trouvent une application immédiate en vue de l’enseignement des langues. Il s’agit d’abord de la notion de synchronie : la langue est étudiée à un moment précis de son évolution. Cela permet de délimiter dans le temps l’état de langue à enseigner. On commence par l’état de langue le plus récent et on n’aborde pas tout de suite les auteurs classiques. Structurale , la linguistique décrit la langue comme un système, c’est-à-dire un ensemble structuré et hiérarchisé dont les éléments tirent leur fonction de la place qu’ils occupent et du rôle qu’ils jouent. C’est surtout la phonologie qui a profité des méthodes structurales. S’appuyant sur cette notion, le linguiste appliqué doit tenir compte en premier lieu des éléments significatifs indispensables à la compréhension et, ensuite seulement, des variantes provenant de combinaisons particulières dans la chaîne parlée. En syntaxe, la notion d’énoncé minimal (ou encore phrase de base ou phrase noyau) compliqué d’expansions successives fournit une progression possible pour l’enseignement. Mais ce sont surtout des exercices structuraux qui constituent l’application la plus importante.

Les exigences d’explicitation des modèles proposés à l’ordinateur, en traduction automatique, ont conduit à un autre type d’élaboration de phrases et à une progression qui ne sont pas sans intérêt pour le pédagogue.

Une fois en possession de ces analyses des langues, il reste au linguiste appliqué à effectuer la comparaison des langues. En effet, la linguistique appliquée considère que l’élève qui apprend une langue étrangère passe d’un système linguistique (celui de sa langue première) à un autre système linguistique (celui de la langue étrangère apprise) dont le fonctionnement est différent. Contrairement à ce que pensent les partisans de la méthode directe, ce n’est pas seulement en exposant l’élève à une langue étrangère que, par une sorte d’imprégnation, celle-ci va se graver dans son esprit. De plus, apprendre une langue étrangère, ce n’est pas la même chose qu’apprendre sa propre langue. Lors de l’apprentissage de sa langue, l’enfant est entièrement disponible, tandis que, lors de l’apprentissage d’une langue étrangère, les habitudes et les structures de la première langue sont déjà en place. La perception de la deuxième langue est déformée par les habitudes perceptives de la première. Les phonéticiens nous apprennent que, lorsque nous écoutons des langues étrangères, nous sommes sourds à certaines réalisations phoniques que notre langue ne possède pas. Le professeur de langue doit sensibiliser l’élève à ces réalisations sonores par des exercices et des tests de discrimination auditive.

C’est justement le rôle des analyses comparatives de mettre en évidence les ressemblances et les différences entre la langue première et la langue étrangère à enseigner. Cette analyse permet de prévoir les cas d’interférences . Il faut mettre au point un certain nombre d’exercices particuliers pour neutraliser à l’avance ces interférences. Cela aussi bien dans le domaine phonologique que morphologique, syntaxique et sémantique. Pour ces différentes raisons, on n’enseigne pas l’anglais de la même façon à des Italiens qu’à des Allemands; plus encore, l’analyse comparée de l’anglais et du français est utilisée de manière différente selon qu’elle s’adresse à des Français qui apprennent l’anglais ou à des Anglais qui apprennent le français.

Principes relatifs aux méthodes et exercices

Il s’agit maintenant d’étudier comment s’élaborent les nouvelles méthodes et de fournir quelques exemples des multiples exercices qui les complètent.

Une pratique de la langue se substitue à une connaissance théorique. L’élève doit comprendre la langue au fur et mesure du déroulement de la chaîne parlée. Il lui faut acquérir, de ce fait, une dextérité remarquable dans le maniement du vocabulaire et des structures de la langue, ce qui présuppose de la part du théoricien une progression et un choix des éléments à enseigner.

Aussi, si l’on veut que le vocabulaire présenté puisse être vite utilisé par l’élève, il doit être limité et surtout correspondre à des mots et à des constructions fondamentaux choisis dans les modes d’expression les plus courants de la langue usuelle. (Le linguiste appliqué rencontre ici le problème du niveau de langue à enseigner, terme qu’il convient de préférer à celui de norme). Les critères essentiels du choix des unités lexicales ont été la fréquence d’utilisation et la disponibilité lors de l’enquête du français fondamental, entreprise par l’équipe G. Gougenheim, P. Rivenc, R. Michéa et A. Sauvageot.

Pour l’enseignement d’une prononciation correcte des langues, les procédures du linguiste sont utilisées: opposition des paires minimales, commutation dans un même cadre, distribution des unités de deuxième articulation.

Cela pourrait donner à penser que l’on fournit à l’élève un certain nombre d’unités isolées à mémoriser. Il n’en est rien. Les travaux de C. C. Fries, aux États-Unis, ont insisté dès le début sur la nécessité d’une imitation et d’une mémorisation de phrases de base extraites des conversations de locuteurs de la langue. La pratique des patterns ou patrons syntaxiques qui en découle se rattache aussi à une conception fondamentale dans l’apprentissage des langues: apprendre une langue, c’est acquérir un nouveau système d’habitudes complexes. On établit comme habitudes des patrons syntaxiques plutôt que des phrases individuelles et isolées, en insistant particulièrement sur celles dont le transfert dans la langue première crée des problèmes.

Les exercices structuraux présentent une technique d’enseignement dont le but est de faire acquérir à l’élève cette dextérité dans le maniement des structures de la langue étudiée, de façon à lui permettre de les employer instantanément lorsque les besoins de la conversation l’exigent avec la rapidité et l’efficacité d’un réflexe . La structure étudiée est utilisée activement par l’élève qui la répète plusieurs fois (mais dans des segments qui sont parfois différents). Le rapport stimulus-réponse est établi de telle sorte que l’élève n’ait aucune difficulté à trouver la réponse correcte. La réponse est suivie d’une confirmation (renforcement skinnérien). Les exercices structuraux procèdent par addition, substitution, ou les deux à la fois, restructuration ou modification. Les exercices de substitution et de juxtaposition correspondent à des procédures linguistiques bien connues: celles qui ont permis, entre autres, la constitution des classes fonctionnelles en syntaxe.

On a volontairement insisté sur les principes qui ont guidé l’élaboration de méthodes élémentaires. Les professeurs de langue insistent eux aussi sur les premiers temps, si importants, de l’apprentissage des langues, où se fixent les éléments de base. Mais il ne faudrait pas croire pour autant que l’apport de la linguistique appliquée ne dépasse pas ce niveau. Des études en lexicologie (langues de spécialités), stylistique comparée, stylistique et même phonostylistique permettent d’établir des niveaux supérieurs dans l’enseignement des langues. D’autre part, la maîtrise de la langue orale permet à l’élève d’accéder à une connaissance plus fine et plus profonde de la culture littéraire et de la civilisation.

Les moyens techniques

Les moyens techniques ont leur place en linguistique appliquée dans la mesure où ils améliorent les conditions d’efficacité des principes qui sont à la base de certaines méthodes ou qu’ils donnent lieu à des recherches nouvelles.

Les méthodes audio-visuelles prolongent les méthodes directes en les perfectionnant. Un fragment sonore, prononcé par un locuteur indigène, est émis par un magnétophone. Une image stylisée sert de support visuel pour la compréhension de la signification de ce fragment sonore. Ces méthodes évitent la traduction et les dangers d’une prononciation très approximative du professeur de langue (en particulier pour l’intonation qui a été le plus souvent négligée dans sa formation).

Parler une langue consiste à pouvoir utiliser de façon automatique les structures de la langue. L’acquisition de tels automatismes requiert la répétition. C’est dans ce domaine que le laboratoire de langues rend les plus grands services. Il permet aussi un travail simultané de tous les élèves, chacun pouvant progresser à son propre rythme.

L’enseignement programmé se fonde, lui, sur les méthodes de Skinner et Crowder. Il se distingue des autres formes d’enseignement par un contrôle immédiat de la réponse de l’élève et une organisation plus systématique de la matière à enseigner. Les machines à enseigner nécessitent, dans leur forme la plus perfectionnée, l’utilisation d’un calculateur et de consoles d’enseignement pour permettre le dialogue élève-machine. L’enseignement programmé et les machines à enseigner suscitent de nouvelles recherches en linguistique appliquée et rendent possible une véritable pédagogie expérimentale.

Le domaine de la linguistique appliquée est délimité de façon très différente suivant les auteurs. La conception ici exposée tend à considérer la linguistique appliquée comme une science intermédiaire entre la linguistique générale et l’enseignement des langues. D’autres auteurs, surtout anglo-saxons, la conçoivent comme une discipline carrefour qui réunit les spécialistes de disciplines aussi différentes que la psychologie, la pédagogie, les mathémathiques, etc., puisque ces sciences s’appliquent aussi à l’enseignement des langues. Il s’agit là de conceptions divergentes de niveaux de spécialisation, tout le monde étant convaincu que le linguiste, le linguiste appliqué et le professeur de langue assument des tâches complémentaires, certes, mais pourtant différentes, même si elles sont pratiquées quelquefois par la même personne.

2. Traduction et documentation automatiques

Langue source et langue cible

Schématiquement, dans le cas de la traduction automatique, le rôle de l’automate peut se comparer à celui d’un traducteur humain qui lit et interprète un texte qu’il traduit dans une autre langue; avec la documentation automatique, l’automate remplit la fonction d’un bibliothécaire qui constitue un «fichier matière» où sont consignées les références de tous les ouvrages qui abordent un thème donné.

Ce qui fait la relative unité de ces deux domaines par rapport à la linguistique tient tout d’abord à des raisons négatives: dans les deux cas, les premiers à s’engager dans la voie de l’automatisation furent des ingénieurs et des programmeurs qui abordèrent de leur point de vue les aspects linguistiques de ces projets. Inversement, avant cette intervention, la traduction avait paru presque toujours, aux yeux des linguistes, relever d’un genre littéraire, et se trouvait de ce fait fort éloignée des contraintes de formalisation et de reproductibilité qu’impose la mécanisation; quant à l’indexation, elle n’a jamais fait partie de l’investigation linguistique. Au-delà de ces raisons négatives, l’approfondissement par des linguistes des aspects linguistiques de l’automatisation a apporté un éclairage nouveau, comme c’est le cas en divers domaines d’application. L’idée s’est ainsi peu à peu précisée que, indépendamment de l’objectif précis – traduction ou indexation –, l’automate doit être capable d’effectuer une interprétation sémantique et syntaxique des textes qu’on lui soumet, et que ce faisant il se heurte dans les deux cas aux mêmes problèmes linguistiques: reconnaissance des unités, analyse morphologique, interprétation des termes qui peuvent avoir plusieurs sens, recherche des antécédents des pronoms, etc. En outre, malgré les apparences, les deux visées sont voisines. Dans une traduction automatique, il s’agit, en effet, de passer d’une langue source à une langue cible , à l’aide d’un dictionnaire où sont enregistrées les équivalences entre les deux langues; dans une indexation automatique, ce passage se fait non pas vers une langue cible naturelle mais vers un langage artificiel, dit langage documentaire , construit de façon qu’on puisse représenter dans ses termes le contenu des documents ayant trait à un domaine scientifique. Or, les langages documentaires, dont il existe maints types – les fichiers matière des bibliothèques en étant un des plus élémentaires –, sont très comparables par certains de leurs aspects à des langues naturelles. Dans les exemples les plus élaborés, les langages documentaires servent, en effet, à exprimer non seulement des concepts (par exemple en physiologie: cœur, rein, poumon, fièvre, respiration, etc.), mais aussi des rapports logiques entre ces concepts (par exemple, un rapport d’inclusion: alvéoles-poumon, respiration-fonctions, chat-mammifères, etc.) et enfin des rapports syntaxiques entre les concepts (causalité, but, comparaison, etc.). Les langages artificiels peuvent ainsi exprimer une part suffisamment grande du contenu des langues naturelles pour que l’on ait envisagé d’utiliser leurs propriétés pour la traduction entre langues naturelles. Certains linguistes, particulièrement en U.R.S.S., se sont proposé de réduire le nombre de couples langue source-langue cible (français, anglais, russe, allemand, etc.) en exprimant toutes les langues sources dans les termes d’un seul langage artificiel, dit langage intermédiaire ou langage pivot , puis en créant des programmes de traduction à partir de ce langage vers les langues naturelles cibles. On remarquera, et c’est là un résultat important, que dans ce modèle de traduction la première phase est exactement équivalente à l’indexation, puisqu’il s’agit de traduire des textes rédigés dans une langue naturelle dans les termes d’un langage artificiel. Par conséquent, l’analyse des textes menée automatiquement a besoin dans les deux cas d’un instrument linguistique du même type.

Quelles sont plus précisément les difficultés d’ordre linguistique que rencontre la mise au point de programmes de traduction et d’indexation? Supposons que l’on veuille confier à un automate le soin de traduire en anglais la phrase: «Je suis parti.» Il faut naturellement que cet automate puisse lire cette phrase, c’est-à-dire identifier chaque unité, puis établir une équivalence entre chacune de ces unités et leurs correspondants en anglais; ces opérations sont réalisées grâce à un dictionnaire automatique où sont enregistrées des équivalences, telles que je = I , suis = am , etc. Mais «je» peut aussi se manifester sous la forme «j’» suivant le contexte, et le verbe «être» connaît bien d’autres graphies suivant le contexte de personne, de temps ou de mode: «es», «sommes», «sera», «furent», etc. Il est donc évident que le dictionnaire automatique n’enregistre pas les équivalences sous la forme évoquée ci-dessus, mais sous une forme plus abstraite qui tient compte de ces variations. D’autre part, «suis» ne représente pas dans cette phrase le verbe «être», mais l’auxiliaire du passé composé, lequel ne se traduit pas par «être» en anglais; enfin «suis» peut aussi représenter le verbe «suivre», et «parti» peut être un substantif. Sans indications supplémentaires de choix l’automate pourra indifféremment traduire «je suis parti» par I am party , I follow party , I follow started , etc. Si l’on veut prendre en compte la totalité des cas possibles, et c’est bien ce que l’on est contraint de faire, il faudra donc enregistrer une foule de données dans le dictionnaire. Ainsi, en ce qui concerne «suis», on assujettira la traduction à certaines vérifications (par exemple, le terme suivant n’est-il pas un participe passé?). Mais il faudra alors prévoir une investigation plus précise du contexte de manière à tenir compte d’insertions telles que «je suis souvent parti». Pour le mot «parti», il faudra non seulement enregistrer les acceptions mentionnées précédemment, mais de plus prévoir l’éventualité d’occurrences telles que «prendre parti», «être du parti de», etc. On le voit, l’usage de machines contraint les linguistes à mettre au point des descriptions exhaustives et des règles entièrement définies. C’est là qu’on peut le mieux voir l’influence et les progrès mutuels qu’ont exercé l’une sur l’autre la traduction automatique et la linguistique théorique.

Problèmes de l’analyse

D’une manière générale, on peut classer les problèmes linguistiques de l’analyse d’une langue source en trois rubriques: les problèmes formels, sémantiques et syntaxiques.

Du point de vue formel , on vient de voir que l’automate doit pouvoir interpréter la morphologie, l’ensemble des variations de marque dues à l’expression des temps, des modes, des personnes, des genres, des nombres, etc. On prévoit généralement d’enregistrer les formes des langues naturelles sous la forme de bases représentant en quelque sorte un dénominateur graphique commun à plusieurs termes, bases auxquelles sont associées des suites de désinences : par exemple part + ir , ant , ons , ais , etc.; cheva + l , ux ; rouge + s ; etc. Il faut ensuite que puissent être reconnues des expressions complexes, dont le groupe de mots est l’exemple le plus connu. Que ce soit par rapport à sa traduction dans les termes d’une langue naturelle ou par rapport à sa représentation dans ceux d’un langage artificiel, un groupe de mots peut se définir comme une suite de termes dont l’équivalence globale n’est pas identique à la somme des équivalences de chaque terme pris séparément (par exemple «pomme de terre», «c’est-à-dire»). Dans de tels cas, on devra soit enregistrer les groupes de mots dans le dictionnaire automatique, soit définir des règles d’examen du contexte pour tout élément susceptible d’intervenir dans un groupe de mots. Pour donner une certaine idée de la complexité des problèmes que l’on aborde ainsi, on peut constater que nombre d’expressions figées admettent des insertions entre leurs éléments: on a ainsi, à côté de «boîte de nuit», ou «tube digestif», inséparables, des groupes comme «avoir [très, souvent, une grosse] faim», «mettre [le plus rapidement] à profit», «les bacilles de Koch [et d’Eberth]». Dans toute son extension, le phénomène des groupes de mots tel qu’il a été défini rejoint celui, immense, de la paraphrase et de la définition; il n’y a, en effet, qu’une simple différence de degrés, du point de vue de leur traitement mécanique, entre les exemples précités et ceux du type suivant: «le soldat a abandonné irrégulièrement son unité» («le soldat a déserté»); «le gardien des moutons» («le berger»); «une mauvaise mère» («une marâtre»).

Du point de vue sémantique , outre l’aspect qui vient d’être évoqué et qui pose la question de la formalisation de la paraphrase, un des problèmes les plus importants est celui de l’analyse des mots polysémiques, c’est-à-dire qui peuvent avoir plusieurs sens. On a vu les exemples de «suis» et de «parti». Le phénomène est très général. La solution la plus évidente consiste à définir des règles d’examen du contexte de ces mots, telles que l’automate puisse décider du sens qui est effectivement réalisé dans une occurrence donnée. Mais une telle investigation du contexte peut varier fortement en extension et en précision. Pour n’en rester qu’au cas de «je suis parti», on sait qu’en anglais le verbe «partir» sera traduit de façon différente suivant le «mode» de départ: to start, to leave, to go away, to go off, to walk off, etc.

Du point de vue syntaxique , le problème est essentiellement celui de l’analyse de la structure de la phrase. C’est sans doute à propos de cet aspect du langage que le projet de traduction automatique a suscité les travaux les plus nombreux, les plus originaux et les plus fructueux. À partir de ces études, mais souvent indépendamment par la suite, sont nées les grammaires prédictives, génératives, transformationnelles. Dans ce domaine aussi, on a pris peu à peu conscience de l’immensité de la tâche, de sorte qu’à l’heure actuelle les recherches en analyse syntaxique automatique offrent l’image d’un vaste chantier d’où aucun programme stable n’est encore sorti. Certains problèmes syntaxiques très complexes qui débordent du cadre de la phrase, telle la recherche des antécédents des pronoms, n’ont encore été abordés que de manière très partielle.

Assez paradoxalement, la traduction automatique a connu, essentiellement aux États-Unis, une période d’euphorie où tous les problèmes étaient réputés solubles immédiatement ou rapidement. Puis devant l’ampleur des travaux préalables à mener, des dizaines de centres de traduction automatique ont périclité au profit de laboratoires de recherche linguistique que l’on pourrait qualifier de «fondamentale», c’est-à-dire indépendante au moins dans un premier temps de préoccupations d’application immédiate. Ces essais auront ainsi été à l’origine de maintes études théoriques qui n’en sont qu’à leur début. En ce qui concerne l’indexation automatique, la situation est un peu différente dans la mesure où l’indexation n’est qu’un maillon de la chaîne complète du traitement de l’information dans un système documentaire et du fait que cette chaîne peut fonctionner à partir d’indexations effectuées par des analystes humains, c’est-à-dire n’être pas mécanisée complètement. On a enfin montré comment les fonctions que l’on voulait après guerre confier à la traduction mécanique peuvent être avantageusement remplies par la documentation automatique, surtout dans le cadre des grandes fédérations internationales de centres documentaires qui tendent aujourd’hui à s’organiser.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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